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[Épisode 1] – Catastrophe de Courrières : prémices de la maîtrise du risque d’explosion

By Sébastien Taraud  13 mai 2019

Premier épisode de notre série dédiée aux accidents majeurs qui ont fait évoluer la sécurité industrielle et la réglementation, notamment en matière d’ATEX. Nous commençons par la catastrophe de Courrières, en 1906. Une tragédie qui viendra poser les bases d’une volonté de maîtrise du risque d’explosion.

Le 10 mars 1906 s’est produit une explosion sans précédent dans la mine de Courrières. Cette explosion a coûté la vie à 1099 mineurs. Cet événement tragique deviendra l’accident fondateur de la prise en compte de la sécurité industrielle en milieu explosif. Comme une première pierre de l’édifice ATEX. 

La ville de Courrières et l’exploitation minière

A2SE Conseil série débuts maitrise risque explosion

(Groupe de mineurs sauveteurs – Source : Wikipedia – Photo libre de droits)

Courrières est une ville du nord de la France située près de Lille. En 1906, cette ville était animée par l’exploitation minière et comptait environ 4900 habitants. Les mines étaient alors exploitées par la Compagnie des Mines de Courrières. Cette compagnie exploitait plusieurs mines de charbon dans le Pas de Calais. Elle portait ce nom car le premier puit qu’elle a exploité était celui de la ville de Courrières. La compagnie fournissait alors 7% de la production nationale de charbon. C’est au XVIIème siècle que l’extraction du charbon débute. C’était le combustible numéro 1, capable de générer la vapeur qui permettait de faire fonctionner les trains et les bateaux, à l’époque de l’essor industriel de l’Europe. La France présentait de nombreuses autres compagnies exploitantes de charbon qui faisaient travailler plus de 60 000 mineurs. Malgré cette production, l’Europe connaîtra une pénurie de charbon, aggravée après le passage de la Première Guerre Mondiale et la destruction des fosses à charbon.

 

Une journée à la mine

Chaque jour des adultes, des enfants, des chevaux ou des mulets descendent au fond des fosses pour récupérer le précieux charbon. Différents métiers se côtoient et différents grades permettent d’organiser l’activité. Le “chef-porion” est le plus haut grade. Il coordonne toutes les activités de la mine en coopération avec le “porion” (contremaître). L’abatteur (abat le charbon), l’”about” (entretien des puits), le “bowetteur” (creuse les galeries principales), le “meneur qu’evaux” (guide les chevaux dans les galeries). Les femmes qui travaillent dans la mine sont : “cafus” (tri le charbon et charge les berlines qui transportent le charbon), “lampiste” (entretien les lampes). Pour ce qui est des enfants, ils peuvent commencer à travailler à partir de 8 ans. Ils sont “Galibot” (jeune apprenti) et ils portent les lampes, les seaux et autre matériel. 

Chaque matin, quand ils arrivent au puit, les travailleurs se changent dans « la salle des pendus » où ils rangent leurs vêtements dans des paniers qui sont ensuite hissés et suspendus au plafond. Les vêtements sont ainsi mis à l’abri de la poussière et de l’humidité. Chacun se rend ensuite à la lampisterie pour se munir d’une lampe, en échange d’un jeton de présence. C’est le moment pour eux de dire au revoir à la surface et de descendre dans les profondes galeries à environ 300 mètres de profondeur, pour quatorze heures de travail.

Les mineurs étaient plongés dans l’obscurité toute la journée dans les galeries, où la chaleur était difficilement supportable. On trouvait également des animaux au fond. Des chevaux étaient présents pour tracter les “berlines”. On trouvait aussi des canaris car ces petits oiseaux jaunes étaient très sensibles au monoxyde de carbone. Lorsque l’oiseau s’évanouit ou meurt, les mineurs ne descendaient pas ou bien sortaient de la mine, car cette réaction du canari était significative de la présence de monoxyde de carbone en trop grande quantité et donc d’un fort potentiel d’explosion au contact d’une étincelle.  C’est d’ailleurs la couleur des canaris qui a donné la couleur des détecteurs de gaz actuels (jaune et noir).

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(Source : Association des Amis du Musée de la Mine de Saint-Etienne)

 

L’explosion du 10 mars 1906

Ce matin là, 1800 mineurs sont descendus dans la mine, lorsque vers 6h30, une énorme explosion appelée “coup de grisou” balaie plus de 110 km de galerie. Le souffle et la puissance de l’explosion projettent certains corps à plus de 5 mètres de hauteur. L’explosion fut telle que des secousses ont été ressenties à plusieurs kilomètres de la mine. Beaucoup de mineurs se retrouvés bloqués à 340 mètres sous le sol. Les actions de sauvetage ont vite débuté mais l’air n’était pas respirable et de nombreuses personnes qui avaient survécues à l’explosion sont décédées asphyxiées.

Un « coup de poussière » précédé d’un coup de grisou viennent de survenir.

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(Catastrophe de Courrières – Les sauveteurs découvrent un amoncellement de cadavres – Sources : Wikipedia – Photo libre de droits)

Le grisou est un gaz essentiellement composé de méthane et d’une petite part d’hydrogène (explose très rapiedement, 0,02%) . Il provient de la fermentation et de la décomposition de matières organiques. Présent notamment dans les veines de charbon non exploitées, ou encore entre les veines de charbon et la roche. Certaines couches de charbon pouvaient contenir jusqu’à 20m3 de grisou à la tonne de charbon extraite. Une flamme, une étincelle chaude pouvait suffire à déclencher l’explosion.

Étant donné que le grisou est un gaz inodore et incolore, il existait plusieurs façons de le détecter. Notamment grâce à des canaris que l’on descendait au fond. S’ils mourraient ou s’évanouissaient, cela signifiait qu’il y avait une présence de grisou. Pendant très longtemps, mis à part le canari, la seule façon de détecter la présence éventuelle de gaz était la lampe de sûreté à flamme. Dispositifs un peu léger au regard du danger permanent…

Il faut savoir que le “coup de grisou” n’est pas la seule explosion qui peut survenir dans la mine. En effet, au regard de la gravité de l’accident de Courrières, il y a fort à parier qu’un “coup de poussière” a eu lieu juste après le coup de grisou. La première explosion entraînant un nuage de poussières en suspension. Avec la friction des molécules de poussières en suspension, une deuxième explosion a certainement dû survenir. (C’est ce type de danger que l’on peut retrouver par exemple dans les minoteries qui manipulent de la farine alimentaire).

Pour Courrières, en plus des animaux qui étaient plus énervés qu’à leur habitude, les mineurs avaient pourtant signalés quelques jours auparavant une importante concentration de grisou, certains même refusant de descendre. Mais la compagnie minière était passé outre leurs avis, certainement à cause du rythme de production effreiné qu’il fallait tenir pour alimenter l’essor industriel que connaissait l’Europe.

les femmes attendent les survivants éventuels de courrieres

(Les Femmes assises en rond attendent sur le carreau de la Fosse de Sallaumines – Source : Wikipedia – Photo libre de droits)

Seulement trois jours après l’accident, l’État décide d’abandonner les recherches de survivants. Les mineurs n’acceptent pas cette décision car pour eux d’autres survivants pourraient être trouvés. Et en effet, plusieurs mineurs ont été retrouvés plus de 20 jours après l’explosion. Par la suite, ce sont donc plus de 60 000 mineurs de France et de Belgique qui se révoltent et exigent de meilleures conditions de travail.

Au lendemain de ce mouvement social, la compagnie minière décide d’augmenter les salaires et le gouvernement décide d’instaurer un jour de repos hebdomadaire.

Cette explosion aura coûté la vie à 1099 personnes et aura été la plus meurtrière en Europe pour l’époque. De nombreuses familles se sont retrouvées sans hommes et donc sans revenus. La compagnie minière a donné plus d’1 million de francs aux familles de victimes et des dons ont aussi été fait par de nombreuses personnes partout en France : c’est le début de la caisse de solidarité, préfiguration de la Caisse Nationale d’Assurance Maladie. Un jour de repos sera instauré par semaine.

À la suite de cet évènement tragique, les normes de sécurité dans les mines vont évoluer.

La suite au prochain épisode de notre série d’articles dédiée aux évolutions de la prise en compte du risque explosif…

 

Sources de cet article :

• « Un coup de Grisou » – Site web de l’Association des Amis du musée de la mine de St Etienne

• « Les principaux gaz dans une mine de charbon » – Site web de l’Association des Amis du musée de la mine de St Etienne

• « Les sauveteurs découvrent un amoncellement de cadavres » – Wikipedia

• « Groupe de mineurs sauveteurs » – Wikipedia

• « Les femmes assises en rond attendent sur le carreau de la fosse de Sallaumines – Wikipedia